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COMMANDE PUBLIQUE

Publié le : 27/09/2023 – Mis à jour le 26/10/2023

La résiliation pour motif d'intérêt général des contrats de la commande publique

Dans un précédent article nous abordions la faculté de résilier un contrat soumis aux conditions générales de ventes d’un titulaire. Voyons ici en détail la procédure de résiliation pour motif d’intérêt général.

Plus précisément, si nous pourrons quelques fois nous référer aux différents Cahiers des Clauses Administratives Générales, nous ne nous pourrons pas envisager toutes les clauses de tous les acheteurs publics de France et de Navarre. Ceux qui voudraient aller plus loin pourront se référer à la fiche de la Direction des Affaires Juridiques sur le même sujet ou pourront me contacter s’ils veulent échanger sur leur(s) clause(s).

Cette résiliation pour motif d’intérêt général existe, pour les contrats administratifs*, dans le silence du contrat selon le 2° de l’article L.2195-3 du CCP :

Lorsque le marché est un contrat administratif, l’acheteur peut le résilier :
1° En cas de faute d’une gravité suffisante du cocontractant ;
Pour un motif d’intérêt général, conformément aux dispositions du 5° de l’article L. 6

Autrement dit, indépendamment des clauses, et si c’est un contrat administratif, l’administration pourra toujours résilier pour motif d’intérêt général.

La personne publique devra alors :

  • Justifier d’un réel motif d’intérêt général
  • Procéder à une indemnisation du titulaire

* La notion de contrat administratif, appliquée aux marchés publics, est encadrée, en partie, par l‘article 6 du CCP qui dispose :

« S’ils sont conclus par des personnes morales de droit public, les contrats relevant du présent code sont des contrats administratifs, sous réserve de ceux mentionnés au livre V de la deuxième partie et au livre II de la troisième partie. Les contrats mentionnés dans ces livres, conclus par des personnes morales de droit public, peuvent être des contrats administratifs en raison de leur objet ou de leurs clauses. « 

A ce stade, mais nous y reviendrons ultérieurement dans un autre article, il faut retenir que la notion de contrat administratif correspond à : personne publique + contrat de la commande publique.

Hors de ce cas, il faudra utiliser d’autres critères dégagés par le juge pour s’assurer de la qualification.

Voyons en détail la procédure

Le formalisme de la résiliation

La personne publique n’a rien à justifier, ni même n’a à respecter un formalisme particulier.

Autrement dit, sauf clauses contraires prévues au contrat, elle peut résilier sans mise en demeure préalable et n’a pas à motiver sa décision autrement que par le motif d’intérêt général en lui même. Les CCAG ne l’imposent d’ailleurs pas.

Précisons toutefois que les CCAG prévoient l’établissement d’un décompte de résiliation pour les indemnités. Nous conseillons, même sans se référer aux CCAG, d’en faire de même afin de faire état des sommes dues par les parties.

Pour le détail des éléments à mentionner au décompte de résiliation et s’agissant du CCAG FCS de 2021, il faut se référer à l’article 43.

La présence d'un motif d'intérêt général

Véritable coeur de la procédure, c’est la seule véritable exigence de forme et de fond : identifier un motif d’intérêt général justifiant la décision. Les juges apprécient largement cette notion, peuvent notamment être cités comme étant valide les motifs suivants :

  • La disparition du besoin,
  • L’évolution du besoin,
  • Un changement de politique au sein de la collectivité,
  • Les difficultés d’exécution…

A défaut, la résiliation sera constitutive d’une faute (TA Melun, 28 avr. 2011, n° 0807270 ou CAA Paris 17 octobre 2011, Société LEA, req. n° 10PA00598). Cette faute permettra au titulaire d’obtenir une indemnisation :

Considérant qu’il résulte de l’instruction que, par lettre en date du 29 mai 2006, la DDSP a résilié unilatéralement le marché de location de biens la liant à la société requérante en invoquant la mise en liquidation judiciaire du fournisseur des fontaines à eau objet de la location, la société Clairio, au motif que celle-ci n’était plus en mesure d’assurer ses prestations ; que, toutefois, l’administration ne précise ni la nature de ces prestations ni en quoi leur exécution était impossible, alors même qu’elle continuait à disposer des biens faisant l’objet de la location dont la SOCIETE LEA était seule propriétaire ; que par suite, en l’absence de tout motif d’intérêt général, la résiliation unilatérale est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité contractuelle de l’administration

Au delà de cette indemnisation, le juge est même susceptible de prononcer la reprise des relations contractuelles (CE 21 mars 2011, Commune de Béziers, req. n° 304806) :

une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles

Les personnes publiques veilleront donc à ne pas utiliser des motifs extravagants au risque de voir leur responsabilité engagée, ou pire…. Hormis ce cas, si le motif est validé, il reviendra d’indemniser le titulaire.

L'indemnisation du titulaire

En réalité, cette indemnisation est double :

  • D’une part, l’indemnisation du montant des investissements non amortis,
  • D’autre part, l’indemnisation du gain manqué.

1- L'indemnisation du montant des investissements non amortis

Il s’agit de l’indemnisation des investissements que le titulaire a supportés pour l’exécution, la réalisation, la fabrication ou l’achat de biens qui sont destinés à devenir la propriété de la personne publique. Pour le juge administratif, il s’agit d’indemniser le titulaire à hauteur de la valeur non amortie des investissements qu’il a financés. 

Le mieux étant de prévoir directement au contrat les modalités de calcul de l’amortissement des biens afin d’éviter toute discussion.

2- L'indemnisation du manque à gagner

Le manque à gagner correspond, en jurisprudence, à la marge bénéficiaire attendu sur le contrat. Autrement dit, le bénéfice qu’en aurait retiré le titulaire, une fois déduites toutes ses charges, de l’exécution normale du contrat.

Cette marge n’est pas « fonction du taux de marge brut constaté dans son activité mais de la marge nette » (CAA Lyon, 20/10/2011, 10LY02217).

Cette marge peut s’obtenir :

  • Soit via un calcul basé sur le compte de résultat de l’entreprise (résultat net / Chiffre d’affaires X 100),
  • Soit via une attestation d’un commissaire aux comptes.
Ici, le commissaire aux comptes atteste d'une marge bénéficiaire nette de 18,70%, soit, sur un marché de 100€, une indemnisation de 18,7 euros.

Une fois le taux de marge connus, il conviendra de l’appliquer au montant des prestations restant à courir diminuées des pénalités et autres sommes à retenir (Pour un exemple didactique, TA Pau, 26 juin 2014, n° 1201986) :

Considérant qu’il résulte de l’instruction que si le marché avait été conduit à son terme, M. X aurait eu droit, en l’absence de difficulté d’exécution, à la somme de 86 429,83 € HT ; qu’il est constant qu’il avait perçu, avant la décision de résiliation, la somme de 62 793, 80 € HT de sorte qu’il aurait dû percevoir, au titre du solde de ses prestations, la somme de 23 636,03 € HT ; que, toutefois, l’office public de l’habitat était en droit de retenir la somme de 4 200 € HT au titre des pénalités que le Tribunal a regardé comme justifiées ; que, de plus, l’office public de l’habitat 65 était également en droit de procéder à la retenue d’une somme de 2 272 € HT correspondant à la reprise des nez de marche d’escalier que M. X a fait exécuter sans ordre de service et dont le caractère indispensable n’est pas établi ; que, par suite, le solde du marché s’élevait, eu égard aux réductions précitées, à la somme de 17 164,03 € HT ; que M. X n’a cependant pas droit à cette somme mais seulement à la marge nette bénéficiaire qu’il aurait réalisée si le contrat n’avait pas été résilié ; que cette marge déterminée en prenant en compte le résultat d’exploitation de l’activité de M. X au cours des années 2007, 2008 et 2009, s’élève à 48,2 % des recettes encaissées par le requérant ; que, par suite, l’office public de l’habitat 65 doit être condamné à verser à M. X la somme de 8 273 € HT ;

Notons également que l’assiette de l’indemnisation doit se baser sur un préjudice certain !

Pour le dire autrement, les prestations optionnelles, voire même les prestations découpée en phase et dont la réalisation n’est pas certaine ne peuvent ouvrir droit à indemnisation !

Ici, une hypothèse peut être faite : Dans le cadre d’un marché public de Maitrise d’oeuvre, la résiliation pour motif d’intérêt général emporterait-elle indemnisation du manque à gagner sur la totalité des prestations restantes à courir alors même que le CCAG PI prévoit une faculté d’arrêt des prestation ? Si cette faculté existe, c’est bien que les missions non encore commencées ne sont pas de réalisation certaine… Du moins, c’est un argument que nous saurions défendre

Lorsque les prestations sont scindées en plusieurs parties techniques à exécuter distinctement, l’acheteur peut décider, au terme de chacune de ces parties, soit de sa propre initiative, soit à la demande du titulaire, de ne pas poursuivre l’exécution des prestations, dès lors que les deux conditions suivantes sont remplies :


– les documents particuliers du marché prévoient expressément cette possibilité ;
– chacune de ces parties techniques est clairement identifiée et assortie d’un montant.

La décision d’arrêter l’exécution des prestations ne donne lieu à aucune indemnité.
L’arrêt de l’exécution des prestations entraîne la résiliation du marché.

Attention, ici le propos n’est pas de dire que ce mécanisme doit être mis en oeuvre (puisqu’il est un cas à part de résiliation) mais bien qu’il donne aux prestations non commencées un caractère incertains…

D’ailleurs, le Conseil d’Etat considère que des reconductions ne sont pas certaines et donc que le taux de marge ne doit pas s’appliquer à leur montant (CE, 2 décembre 2019, n° 423936).

L'encadrement contractuel de la résiliation

Au regard de ce qui précède il serait tentant de prévoir d’encadrer la résiliation pour motif d’intérêt général.

Deux remarques doivent être faites :

  • D’une part, les clauses augmentant l’indemnisations sont réputées non écrites au nom du principe d’interdiction des libéralités. En d’autres termes, s’il existe une disproportion manifeste entre le montant indemnisé et le montant auquel l’entreprise aurait pu prétendre, le juge écarte la clause,
  • D’autre part, des acheteurs tentent de limiter le droit à indemnisation en réduisant le montant indemnisé. Cette faculté est validée mais il faut rester prudent. Il est tentant de vouloir exclure le montant à indemniser et si le juge a pu le valider, il l’a fait dans un cadre particulier : un marché à bon de commande sans montant minimum… (Conseil d’État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 19/12/2012, 350341) :

Considérant, toutefois, que si les principes généraux applicables aux contrats administratifs permettent aux personnes publiques, sans qu’aucune disposition législative ou réglementaire, non plus qu’aucune stipulation contractuelle ne le prévoient, de résilier un contrat pour un motif d’intérêt général, sous réserve de l’indemnisation du préjudice éventuellement subi par le cocontractant, ces mêmes principes ne s’opposent pas à ce que des stipulations contractuelles écartent, comme en l’espèce, tout droit à indemnisation en cas de résiliation du contrat par la personne publique ; que s’agissant, en outre, d’un marché à bons de commande sans minimum, la cour administrative d’appel n’a, en tout état de cause, pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les stipulations du contrat, en faisant application de l’article 11 du cahier des clauses administratives particulières et en jugeant que ses stipulations faisaient obstacle à ce que la société AB Trans soit indemnisée du préjudice né de la résiliation du contrat, quand bien même il serait établi que cette dernière n’était pas justifiée par un motif d’intérêt général

Nous ne pourrions donc garantir à 100% qu’une clause pourrait exclure la totalité du droit à indemnisation. Cependant, le réduire est envisageable, à l’instar des CCAG (dans cet exemple l’article 42 du CCAG FCS) :

Lorsque l’acheteur résilie le marché pour motif d’intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors TVA du marché, diminué du montant hors TVA non révisé des prestations admises, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %.

En définitive, simple à mettre en oeuvre, la résiliation pour motif d’intérêt général demandera toutefois une certaine attention, notamment sur les éléments financiers.