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COMMANDE PUBLIQUE
Publié le : 01/08/2023 —- Mis à jour le : 30/01/2024
Offre anormalement basse : Une procédure digne des douze travaux d'hercule
S’il n’existe aucune méthode type pour détecter et traiter les offres anormalement basses, je vous propose ici un bref aperçu de la procédure et quelques astuces pour détecter les Offres anormalement basses, notamment une détection en 3 étapes avec une méthode innovante !
Pour les fondamentaux et plus de détails, je vous renvoie à l’excellente fiche de la Direction des Affaires Juridiques sur le sujet !
Contour de l'offre anormalement basse
Définition et sort de l'offre anormalement basse
Le code de la commande publique (CCP) donne sa propre définition de l’offre anormalement basse (OAB) qu’il définit donc comme une offre « dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché » (Article L.2152-5).
L’OAB n’est donc en aucun cas un prix bas. Pour qu’il y ait OAB, encore faut-il que ce prix, fut-il « haut » ou « bas », soit « sous-évalué » :
« qu’en se fondant ainsi, pour estimer que l’offre de l’attributaire était anormalement basse, sur le seul écart de prix avec l’offre concurrente, sans rechercher si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché, le juge des référés a commis une erreur de droit« (Conseil d’État, 29/05/2013, 366606) .
L’OAB est donc dépendante des conditions d’exécution du marché ; plus les exigences de l’acheteur sont importantes, plus le prix devrait être conséquent pour supporter ces exigences.
Et parce qu’elle met en péril l’exécution du marché et la concurrence, une telle offre doit être rejetée. L’acheteur commet ainsi une faute à ne pas le faire… (les juridictions se limitent à un contrôle manifeste de l’erreur d’appréciation. En soit, il faudra que l’acheteur commette une erreur grossière pour être sanctionné).
Traitement de l'offre anormalement basse
Plusieurs étapes sont nécessaires pour traiter les OAB :
Première étape, le CCP précise que « l’acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses » (L.2152-6).
Deuxième étape, lorsqu’une offre lui semble anormalement basse, l’acheteur doit exiger « que l’opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre » (L.2152-6).
Troisième étape, l’acheteur vérifie les justifications fournies en regardant, notamment, « le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu’il envisage de sous-traiter. » (R.2152-3).
In fine, « l’acheteur rejette l’offre comme anormalement basse » dans deux cas :
« 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés ;
2° Lorsqu’il établit que celle-ci est anormalement basse parce qu’elle contrevient en matière de droit de l’environnement, de droit social et de droit du travail aux obligations imposées par le droit français, y compris la ou les conventions collectives applicables, par le droit de l’Union européenne ou par les stipulations des accords ou traités internationaux mentionnées dans un avis qui figure en annexe du présent code. » (R.2152-4)
Trois étapes sont donc nécessaires :
- Phase de détection de l’OAB
- Phase formelle de demande de justificatif
- Phase d’analyse des éléments justificatifs
Les différentes phases de la procédure de rejet d'une offre anormalement basse
La détection de l'offre anormalement basse
S’il existe des offres anormalement basses, il existe aussi des anormalement hautes, il convient donc de procéder en plusieurs phases et mêler différentes analyses pour détecter une OAB.
Pour ce faire, nous vous proposons une analyse en 3 étapes, avec 3 niveaux de vigilance différent :
1- Une analyse par rapport à la moyenne des offres
Ici, on peut considérer qu’une offre inférieure de plus de 20% par rapport à la moyenne des offres est suspecte et permet de pousser plus loin :
2- Une analyse par rapport à la moyenne des offres, excluant les offres les plus onéreuses
Pour ne pas fausser l’analyse, la moyenne calculée devrait exclure les offres que l’on peut qualifier « d’anormalement haute ». Ce faisant, une deuxième étape pourrait consister à reprendre le même raisonnement que précédemment mais en excluant les offres supérieures de 20% à la moyenne.
Dans ces conditions, l’offre de la société B étant supérieure à la moyenne de près de 38%, elle sera exclue pour obtenir une moyenne plus proche de la réalité :
3- Une analyse par rapport à la moyenne des prix pondérés par les notes techniques
Enfin, il convient de prendre en compte, dans le prix proposé, les choix techniques opérés par l’entreprise pour satisfaire aux exigences du cahier des charges. Pour ce faire, on pondère le prix proposé par les notes techniques.
Si l’offre obtient une note technique basse, on pourra considérer que le prix n’est pas sous-évalué, mais, au contraire, en rapport avec les prestations fournies ; à l’inverse, une haute note technique révèlera un bas de niveau de prix par rapport aux prestations fournies (Pour une vision complète de la méthode employée : Voir l’article du Moniteur).
Pour notre exemple voici ce que cela donne dans le cadre d’une consultation avec un critère prix à 50% et un critère technique à 50% (comme le mentionne l’article du Moniteur, la difficulté sera de déterminer un seuil d’alerte… 30% étant un bon niveau de marge selon nous) :
La demande de justificatif
Sur la base des analyses qui précèdent, l’acheteur serait tenu de mettre en oeuvre la suite de la procédure et demander à la société F de justifier son prix. Cette demande de justification devant apprécier la globalité de l’offre et non une seule partie du prix (Conseil d’Etat, 13/03/20219, 425191).
Le courrier de demande de justificatifs, laissant un délai fixé à l’entreprise pour répondre, devra permettre de justifier tout ou partie du prix proposé. L’acheteur n’est pas tenu d’orienter les justifications à apporter. Il est lui est toutefois loisible de le faire.
Ainsi, il peut être demandé à la société de distinguer au sein de son prix et pour chaque prestation attendue :
- Le prix de la fourniture, avec les justificatifs associés,
- Ici, il s’agit de pouvoir justifier le bas coût de chaque fourniture
- Le prix de la main d’oeuvre, avec les qualifications, taux horaires et nombre d’heures,
- ici, on pourrait détecter un temps passé sous-estimé, des taux horaires sous-estimé ou des qualifications sous-payés ou sous-dimensionnées par rapport aux prestations attendues
- Le montant des frais généraux pour l’ensemble de la prestation
- Ici, il s’agit simplement de faire sortir du prix initial les frais généraux et la marge de tout le prix chiffré afin de ne garder que des prix « secs ».
L'analyse des justificatifs
In fine, l’acheteur devra analyser les réponses reçues. Et l’absence de réponse de la société emporte rejet de son offre (Conseil d’État, 30/03/2017, 406224).
De même, des justifications éparses, générales et sans preuves justifient aussi le rejet de l’offre (Cour administrative d’appel de Paris, 06/05/2014, 11PA01533 ou Conseil d’État, 7ème chambre, 14/03/2023, 465456) ; ainsi une entreprise ne peut simplement invoquer son expérience et sa qualité de titulaire sortant pour justifier son prix (Conseil d’État, 15/10/2014, 378434).
Pour les autres cas dans lesquels le Titulaire fournit des justificatifs, il appartiendra à l’acheteur, éventuellement aidé d’un professionnel, de juger du caractère probant des éléments avancés… Une histoire tout aussi complexe à mettre en oeuvre !
Dans tous les cas, il conviendra de consigner l’ensemble de la procédure d’OAB au sein du rapport d’analyse des offres pour vous prémunir d’un éventuel contentieux.